Préambule

René CAPO à été coordinateur du comité de vigilance de Biscarrosse depuis sa création en 2001 jusqu'en 2014 ainsi que du collectif Aquitain contre les rejets en mer (2005-2006).

Il est également l'un des membres fondateurs de l'Association pour la Défense, la Recherche et les Études Marines de la Côte d'Aquitaine (ADREMCA) en 1979.


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vendredi 13 décembre 2019


L'épandage des boues de stations d'épuration en agriculture :
quels risques pour la santé et l'environnement ?

06 décembre 2019, 15:36

Epandage de boues dans un champs
Crédit : Pascvii / Pixabay - Licence : CC0

73% des boues de stations d'épuration sont épandues sur les sols agricoles. L'épandage de telles matières peut faire l'objet de réticences de la part des agriculteurs et des populations vivant à proximité. Plus préoccupants sont les impacts environnementaux que l'usage de ces boues pourraient engendrer. Cette pratique est-elle une solution durable de valorisation de nos déchets ou bien représente-t-elle un danger pour les écosystèmes et pour l'Homme ?
Les boues sont les principaux déchets des stations d'épuration
  • le chaulage (appliqué sur 30% des boues en France) : ce procédé consiste à ajouter de la chaux pour augmenter le pH des boues et ainsi bloquer le processus de fermentation (pH>11) ;
  • le compostage (également 30 % des boues en France) : les boues peuvent être mélangées à des déchets verts puis dégradées par des bactéries, champignons… en présence d'oxygène (comme dans le composteur du jardin !) ;
  • la méthanisation: il s'agit d'une dégradation des boues par des bactéries, en l'absence d'oxygène. Également utilisé sur les exploitations agricoles à partir des effluents d'élevage, ce procédé permet de produire, d'une part, du méthane (ou biogaz) pouvant être injecté dans le réseau de gaz de ville ou bien brûlé pour produire de la chaleur, et d'autre part, un « digestat », pouvant être épandu dans les champs.

Les stations d'épuration permettent de traiter les eaux usées produites par les activités domestiques et industrielles. En France, ce traitement consiste la plupart du temps à brasser les eaux usées dans des bassins favorisant le développement des micro-organismes qui dégradent et absorbent la pollution. Alors que les eaux traitées sont rejetées dans le milieu naturel (rivière, lac, etc.), les boues d'épuration constituent le principal déchet de ce traitement: elles sont principalement constituées d'eau (à plus de 90 %), de bactéries mortes et de matière réfractaire au traitement. Chacun d'entre nous «produit» environ 3 litres de boues par jour[1].
Une fois collectées au niveau des bassins, les boues sont soumises à des traitements spécifiques[2]. Ces derniers ont pour premier objectif de réduire la quantité de boues : des procédés de déshydratation (centrifugation, filtrage, ajout de réactifs chimiques) permettent de réduire leur teneur en eau et d'obtenir une boue pâteuse. Le second objectif de ces traitements est de « stabiliser » les boues, c'est-à-dire de stopper l'activité bactérienne et le processus de fermentation afin de limiter les odeurs et de réduire les risques biologiques lors de l'épandage. Il existe plusieurs procédés de stabilisation des boues, notamment:
Production, traitement et filières de valorisation des boues de station d'épuration (chiffres: INRA, 2014)
© Vivien LECOMTE - Licence : Tous droits réservés

En raison de leurs propriétés fertilisantes, la majorité des boues sont épandues

La production de boues en France est estimée à 1 million de tonnes de matière sèche par an[3]. Ces boues peuvent être répandues dans les champs par les agriculteurs afin[4] :
  • de fertiliser le sol : riches en matières organiques, en azote et en phosphore, elles sont un engrais permettant d'enrichir les sols en nutriments nécessaires au développement des végétaux ;
  • d'amender le sol, c'est à dire d'en améliorer les qualités physiques et chimiques afin de favoriser la production d'humus, une matière incontournable parce qu'elle abrite la vie bactérienne et la microfaune qui digèrent et rendent disponibles les éléments nutritifs dont les plantes ont besoin.
Cette pratique appelée épandage concerne 73% des boues d'épuration produites en France, dont un peu moins de la moitié sont préalablement compostées en mélange avec des déchets verts. La surface actuellement épandue en France, est de l'ordre de 750 000 à 800 000 hectares, soit 2,5 à 3% de la surface agricole utile. Les principales cultures concernées sont le blé, céréale la plus cultivée en France, le colza et le maïs fourrager (pour l'alimentation des animaux d'élevage). Dans une moindre mesure, l'épandage des boues peut également être réalisé sur des prairies[3].
Le cahier des charges de l'Agriculture Biologique et d'autres filières qualité comme le Label Rouge interdit l'utilisation de boues d'épuration comme fertilisant".
Le reste des boues issues des stations d'épuration françaises est incinéré (18 %) ou envoyé en décharge (9 %), cette dernière filière étant une option «de secours»[5].
L'épandage agricole est une pratique recommandée par l'Agence de l'Eau, établissement public de l'État. Il constitue également la principale voie de valorisation des boues en Europe[4]. En effet, il présente de nombreux avantages d'ordres pratique, économique et écologique[5][6] :
  • sa mise en œuvre ne nécessite pas d'investissement pour les agriculteurs, autre que celui d'un épandeur, et parfois d'un équipement d'entreposage ;
  • les boues sont le plus souvent fournies gratuitement ou à prix réduit aux agriculteurs ;
  • en contribuant au maintien des stocks de carbone dans les sols et à la substitution d'engrais de synthèse, leur valorisation agronomique fait partie des leviers de l'agriculture pour la lutte contre le changement climatique et pour la préservation de la qualité des sols. Elle s'inscrit également dans les principes de l'économie circulaire en permettant le recyclage du phosphore et l'association d'acteurs au sein des territoires (céréaliers, agriculteurs et collectivités). Enfin, la proximité des lieux de production et d'utilisation des boues permet de réduire les transports.

La fertilisation organique des sols, une pratique multiséculaire

Le retour au sol des déjections animales, qui permet la fertilisation organique des sols, est une pratique agricole multiséculaire. Au cours du 20ème siècle, cette pratique a été complétée par le recours aux engrais minéraux, également appelés engrais chimiques, découverts par le chimiste allemand Fritz Haber en 1909 et qui permettent un apport maîtrisé des trois éléments fertilisants de base que sont l'azote, le phosphore et le potassium. La découverte des engrais chimiques a permis, selon les spécialistes, de « sauver » 3,5 milliards de vies de la famine. Leur utilisation excessive est aujourd'hui décriée en raison de leurs impacts environnementaux.
Plus récemment, de nouvelles matières fertilisantes en provenance de diverses filières de traitement des eaux usées et des déchets sont venues compléter le panel de produits épandus[5]. Aujourd'hui, les apports annuels d'azote sur les sols agricoles reposent en premier lieu sur les engrais chimiques (2110 kt en 2012) suivis des effluents d'élevages (1820 kt) et des boues d'épuration et composts (21 kt) [4].

Mais ces boues contiennent des substances dangereuses

Les eaux usées issues des habitations, des industries et des commerces sont riches en matière organique, facilement dégradable par les stations d'épuration. Elles contiennent également de nombreuses substances chimiques, dont certaines sont qualifiées de «micropolluants», en raison des effets toxiques qu'ils peuvent induire à de très faibles concentrations, de l'ordre du microgramme par litre voire du nanogramme par litre.
Quelques repères
1 microgramme (µg) est un million de fois plus léger qu'un gramme (g)
1 nanogramme (ng) est mille fois plus léger qu'un microgramme (mg)
1 morceau de sucre dans une piscine olympique = 1 µg/L
1 petit grain de sable = 3 µg
1 grain de sel dans une piscine olympique = 1 ng p
Parmi les micropolluants, on retrouve des composés régulièrement cités dans les médias comme les métaux, les plastifiants (ex: Bisphénol A), les désinfectants, les pesticides, les PCB (Polychlorobiphényles) ou les résidus de médicaments… mais aussi des composés moins médiatisés comme les retardateurs de flamme (présents dans la literie et les vêtements), les phénols et alkylphénols (dans les détergents) et les composés perfluorés (dans les revêtements imperméables et certaines poêles).
Certaines de ces substances sont susceptibles de perturber assez fortement les écosystèmes, par exemple en provoquant des effets de types perturbateur endocrinien (dérèglement du système hormonal), ou, pour les antibiotiques et les désinfectants, de jouer un rôle majeur dans la dissémination de l'antibiorésistance[2]. La maîtrise du rejet des micropolluants dans l'environnement est donc devenue un enjeu environnemental et sanitaire majeur et fait l'objet d'un plan national dédié (Plan Micropolluants 2016-2021).
Or, les stations d'épuration actuelles n'ont pas été conçues pour traiter ces substances présentes à l'état de trace : ainsi, les rendements d'élimination sont très variables selon le polluant et le procédé de traitement considérés. Certains composés sont totalement réfractaires au traitement et sont rejetés « tels quels » dans le milieu naturel ; d'autres sont éliminés efficacement, par biodégradation ; enfin certains sont simplement transférés dans les boues d'épuration. Ainsi, les résultats du programme de recherche ARMISTIQ (2010-2013) ont montré que dans une station d'épuration « classique » (type « boues activées »), sur les 32 substances éliminées des eaux à plus de 70 %, seules 10 étaient réellement dégradées (ex: paracétamol, ibuprofène) tandis que les autres étaient transférées dans les boues (ex: métaux, HAP, nonylphénols et certains médicaments)[7].

Y a-t-il un risque pour l'homme et l'environnement ?

Plusieurs paramètres sont pris en compte pour évaluer le niveau de risque

Se pose alors la question du devenir et de l'impact de ces polluants présents dans les boues d'épuration lors de l'épandage sur des sols agricoles. Fort heureusement, même si des substances toxiques sont présentes dans les boues épandues, cela ne signifie pas forcément que ces boues soient « dangereuses » pour les écosystèmes et pour l'homme. En effet, plusieurs paramètres doivent être étudiés pour évaluer le niveau de risque.
Le risque dépend tout d'abord de la concentration du polluant dans les boues et de la quantité de boues épandues sur les sols.
La durée de persistance de la substance polluante dans l'environnement est un deuxième paramètre à prendre en compte. Celle-ci dépend à la fois de la nature du composé mais aussi des conditions du milieu (température, humidité, pH, etc.). Par exemple, les PCB, qui ont pollué de nombreux cours d'eau français tels que le Rhône ou la Moselle sont très persistants : leurs temps de demi-vie (temps pour lequel la moitié du composé est dégradé) sont compris entre 94 jours et 2 700 ans ! A l'opposé, le toluène, un hydrocarbure utilisé dans l'industrie chimique, présente un temps de demi-vie dans le sol de seulement 0,5 à 1 jour : il est donc très rapidement dégradé[8].
Ensuite, il faut savoir que certains polluants restent piégés dans les boues ou dans le sol :
  • ils ne passeront pas (ou peu) dans les plantes et dans les animaux : on dit qu'ils sont faiblement biodisponibles;
  • ils ne contamineront pas (ou peu) les eaux souterraines et les eaux de surface : ils sont faiblement mobiles.
Cette caractéristique dépend à la fois du polluant lui-même mais aussi de la nature des boues, des propriétés du sol et des conditions environnementales[2].
Le niveau de risque dépend également de la capacité du polluant à se bioaccumuler au sein des organismes vivants (ex: plantes ou vers de terre) et à se bioamplifier entre les maillons de la chaîne alimentaire (ex: plantes -> animaux -> homme). Par ces deux phénomènes, une substance retrouvée à l'état de trace dans le sol peut être présente en concentration beaucoup plus élevée chez les animaux d'élevage et chez l'Homme, qui se trouvent au sommet de la chaîne alimentaire.
Enfin, le risque dépend du degré de toxicité de la substance considérée, très variable selon les composés.

Que dit la réglementation ?
Sauf si elles ont été préalablement compostées, les boues d'épuration sont considérées comme des déchets et sont épandues selon «un plan d'épandage» comprenant une étude préalable (analyse de sols, recensement des cours d'eau, etc.), une autosurveillance (analyses régulières des boues et des sols) et un registre d'épandage. L'arrêté du 8 janvier 1998, qui encadre cette pratique, fixe des limites de concentration dans les boues et de doses cumulées sur 10 années, pour 12 paramètres chimiques: des métaux lourds, des PCB et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). A noter qu'aucune limite n'est fixée (ni analyse requise) pour un ensemble de micropolluants pourtant présents dans les boues comme les résidus de médicaments ou les détergents. L'arrêté impose également des distances minimum à respecter vis-à-vis des milieux sensibles et des délais entre l'épandage des boues et la récolte ou le retour des animaux[3]. A noter qu'un délai de 4 à 5 ans sépare généralement deux épandages consécutifs de boues sur une même parcelle, afin de respecter les limites de doses cumulées de polluants sur 10 ans.

Le risque semble faible, dans l'état actuel des connaissances

Les risques sanitaires et environnementaux liés à l'épandage des boues ont été évalués dans le cadre d'une étude de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie)[3], et d'une expertise collective menée par 3 instituts de recherche (INRA, CNRS et IRSTEA)[5], dont les rapports sont parus fin 2014.
L'étude de l'ADEME a notamment évalué plusieurs scénarios d'exposition, correspondant à des épandages de boues conformes au cadre réglementaire. Trois typologies d'expositions, éventuellement cumulables pour certaines populations, ont été considérées en distinguant les adultes et les enfants :
  • l'ingestion ou l'inhalation de poussières de boues d'épuration, par les agriculteurs et les habitants riverains des champs sur lesquels ont lieu les épandages;
  • l'ingestion de végétaux (ex: blé, pommes de terre) ayant poussé dans les champs avec épandage;
  • l'ingestion de denrées animales issues d'animaux d'élevage présents sur les champs avec épandage et/ou d'animaux ayant consommé des végétaux de ces mêmes champs.
L'étude de ces scénarios a permis d'établir que quels que soient la population (agriculteurs, riverains, consommateurs) et le polluant (métaux, alkyphénols, résidus de médicaments, etc.) considérés, le niveau de risque sanitaire semble faible, dans l'état actuel des connaissances. Pourquoi un risque faible? Tout d'abord, car les quantités de métaux lourds apportées par les boues représentent une faible proportion des métaux déjà présents dans les sols. Ensuite, parce que d'une manière générale, les polluants présents dans les boues sont peu transférés vers les plantes et vers les eaux du sol. Enfin, plusieurs études ont montré que les polluants les plus persistants tels que le triclosan, un conservateur présent dans des produits cosmétiques et désinfectants, semblent peu bioaccumulables dans les organismes vivants[9].
Deuxième conclusion de l'étude : la voie d'exposition très nettement prédominante est l'ingestion de végétaux. C'est donc par la consommation de denrées végétales issues des champs avec épandage que le transfert de polluants en provenance des boues est le plus important.
Enfin, la contamination des matières premières animales destinées à la consommation humaine (lorsqu'il y a contamination) concerne surtout les tissus graisseux, le lait et les œufs.
Concernant le risque environnemental, un ensemble de tests ont été réalisés en laboratoire, pour étudier la toxicité de boues d'épuration vis-à-vis des organismes vivants. Le principe de ces « essais écotoxicologiques » est le suivant:
1.    Des échantillons de boues sont mélangés avec de la terre (un sol «standardisé») : plusieurs doses de boues sont testées allant de une à dix fois la dose d'épandage réglementaire.
2.    Ces échantillons de « boues + terre » sont mis en contact avec des organismes terrestres, afin d'évaluer les effets du cocktail de polluants présents dans les boues vis-à-vis de la croissance racinaire de végétaux, de la reproduction de vers de terre et de la germination de spores de champignons.
3.    De l'eau est versée à travers les échantillons de « boues + terre » (afin de « simuler la pluie ») puis mise en contact avec des organismes aquatiques. Ces essais ont pour but de mesurer les effets des polluants potentiellement entrainés vers les rivières, vis-à-vis de la reproduction et de la mobilité de petits crustacés, de la croissance d'algues et de l'activité bactérienne.
L'ensemble des tests réalisés, à une exception près, n'ont pas révélé de toxicité à la dose d'épandage. Des effets significatifs apparaissent en revanche pour certains tests à 5 fois et 10 fois la dose d'épandage. La toxicité des boues testées vis-à-vis des organismes aquatiques et terrestres est donc relativement faible.

Mais des incertitudes persistent et les résultats d'une étude sur des brebis interrogent

Cependant, ces deux études et d'autres menées plus récemment soulignent à plusieurs reprises les nombreuses incertitudes, liées notamment à un manque de données sur le devenir de certains micropolluants, comme les composés perfluorés ou les phtalates (plastifiants) [10]. Elles insistent également sur le manque de connaissances concernant les produits issus de la transformation des micropolluants dans l'environnement [9].
Reste également la question des bactéries résistantes aux antibiotiques, dont on sait qu'elles colonisent tous les milieux, y compris l'eau potable. Même si les études sont rares en la matière, l'épandage des boues d'épuration contribue probablement à ce phénomène, en disséminant des bactéries résistantes, des résidus d'antibiotiques et des résidus de produits désinfectants dans le sol [5].
Enfin, les résultats d'une étude menée sur des brebis en conditions réelles ont de quoi interroger [11]. Le principe et les résultats de cette étude, publiée en 2016 par un consortium de scientifiques britanniques et français, sont présentés dans le schéma ci-dessous :

L’impact de l’épandage de boues sur des brebis inséminées : principe et principaux résultats de l’étude de Lea et al. (2016)
© Vivien LECOMTE - Licence : Tous droits réservés
Ces résultats suggèrent donc des effets sur les fœtus féminins de brebis paissant dans des pâturages ayant reçu des boues d'épurations. Selon les auteurs de l'étude, ces effets seraient dus au cocktail de polluants présents dans les boues. Néanmoins, l'absence d'autres études comparables ne permet pas de généraliser les résultats observés.

Les alternatives pour une meilleure gestion des boues

L'incinération est-elle la solution ?

Au nom du principe de précaution et devant le risque d'accumulation de substances nocives dans les sols, faut-il interdire l'épandage des boues d'épuration en agriculture et les incinérer ? C'est le choix fait par la Suisse, depuis 2008[12].
Si elle peut paraître séduisante, cette approche présente cependant plusieurs défauts :
  • les milliers de tonnes annuelles de carbone, d'azote et de phosphore que ces boues contiennent partiraient en fumée… Alors que les ressources minières de phosphore se raréfient ;
  • tout ne brûle pas dans un incinérateur : la matière minérale restante (mâchefers) doit être évacuée en décharge ;
  • sauf à disposer d'un incinérateur sur le site de la station d'épuration, l'incinération (et l'évacuation des mâchefers) engendre des transports de boues par camion sur de longues distances.
De plus, si nous décidons d'arrêter l'épandage des boues, se pose la question de ce qui va venir les remplacer pour fertiliser les sols. Des engrais chimiques ? Ceux-ci contribuent au réchauffement climatique et ne sont pas une ressource renouvelable…

Mieux traiter les boues avant épandage

Une autre approche consiste à améliorer le traitement des boues pour réduire leur dangerosité avant épandage. C'est l'objet de la thèse de D. Lachassagne (Université de Limoges) menée dans le cadre du projet SIPIBEL[2]. Dans cette thèse, trois types de traitement de stabilisation des boues ont été étudiés et comparés quant à leur capacité à réduire la teneur et/ou à garder piégés les micropolluants : le chaulage, le compostage et la méthanisation. Il ressort notamment de cette comparaison, que :
  • le compostage permet de piéger efficacement les métaux dans les boues, ce qui réduit leur possibilité de transfert dans les sols, les eaux et les organismes vivants ;
  • la méthanisation a tendance à concentrer les métaux dans les boues, mais permet de réduire la mobilité et la biodisponibilité de la plupart des micropolluants.
Depuis, d'autres études suggèrent qu'une combinaison de ces deux types de traitement permettraient à la fois une réduction de la teneur de la plupart des micropolluants, mais aussi de piéger une partie des micropolluants restants[9].
En complément, D. Lachassagne a également étudié l'impact d'un traitement supplémentaire, consistant à appliquer de l'ozone (« ozonation ») sur les boues avant leur stabilisation. Les résultats semblent montrer que l'ozonation est un prétraitement efficace, dans la mesure où il a permis d'éliminer un grand nombre de résidus de médicaments initialement présents dans les boues. D'autres études technico-économiques sont nécessaires pour valider la pertinence de ce mode de traitement, mais il peut s'agir d'une solution prometteuse pour l'avenir.

Réduire les pollutions à la source

Pour améliorer la qualité des boues épandues, « le plus simple » reste encore de réduire les pollutions à la source : des eaux usées moins polluées, ce sont des boues moins polluées ! C'est dans cette voie que le Ministère de l'Environnement, l'Agence Française pour la Biodiversité et les Agences de l'Eau se sont engagées prioritairement. Tout d'abord, en finançant des campagnes d'analyses de micropolluants (campagnes RSDE) dans les eaux usées et les boues d'épuration, afin de mieux cibler les substances problématiques. Ensuite, en impulsant la création d'opérations collectives territoriales pour réduire les pollutions d'origines artisanales et industrielles. Et enfin, en soutenant des projets de recherche visant à améliorer nos connaissances sur les micropolluants et à trouver des solutions innovantes pour en réduire le rejet (cf. Appel à projets national Micropolluants).
De l'efficacité de cette politique de réduction à la source dépendra certainement le devenir des boues d'épuration dans les prochaines années.

Notes

1.    Site de l'Agence de l'Eau RMC – Gestion des boues urbaines – consultée le 29 novembre 2019 - https://www.eaurmc.fr/jcms/vmr_35488/fr/gestion-des-boues-urbaines?cid=vmr_35727&portal=cbl_7386
2.    Lachassagne Delphine - Devenir de micropolluants présents dans les boues d'épuration, du traitement à l'épandage agricole : application aux micropolluants métalliques (Cd, Cu) et organiques (médicaments) issus du traitement biologique conventionnel d'effluents urbains ou hospitaliers. Thèse du Groupement de Recherche Eau Sol Environnement (GRESE) de l'Université de Limoges/Suez Environnement/ADEME, 2014, 309p. - http://www.graie.org/Sipibel/publications/these-D.Lachassagne-boues-medicaments-2015-vdiffusable.pdf
3.    INERIS et CNRS – Substances « émergentes » dans les boues et composts de boues de stations d'épurations d'eaux usées collectives – caractérisation et évaluation des risques sanitaires – Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, le SYPREA-FNADE, la FP2E, le SIAAP – octobre 2014, 294p. - https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ers-substances-emergentes-boues-step-201411.pdf
4.    ADEME – Matières fertilisantes organiques : gestion et épandage – Guide des bonnes pratiques – avril 2018, 15p. - https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/matieres-fertilisantes-organiques-gestion-et-epandage_010526.pdf
5.    INRA, CNRS, IRSTEA – Valorisation des matières fertilisantes d'origine résiduaire sur les sols à usage agricole ou forestier, Impacts agronomiques, environnementaux, socio-économiques – Synthèse de l'expertise scientifique collective – octobre 2014, 108p. - https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/267560-bfb3b-resource-esco-mafor-synthese.html
6.    Site de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) – L'épandage en direct des matières organiques – Mis à jour le 29 janvier 2019 - https://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-organique/lepandage-direct-matieres-organiques
7.    ONEMA (Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques – nouvellement OFB) – Quelle est l'efficacité d'élimination des micropolluants en station de traitement des eaux usées domestiques ? – Synthèse du projet de Recherche ARMISTIQ – décembre 2014, 12p. - https://armistiq.irstea.fr/wp-content/uploads/2015/02/Plaquette-synth%C3%A8se-AMQ.pdf
8.    Site de l'Université de Picardie, DESS Qualité et Gestion de l'Eau - Pollution et dépollution des nappes d'eau souterraine – 2002 - https://www.u-picardie.fr/beauchamp/cours.qge/pol-sout/pol-sout.htm
9.    Conférence Eau et Santé organisée par le Graie, l'Astee, la Métropole de Lyon et les partenaires de Sipibel – Les micropolluants dans l'eau liés aux pratiques de soin : caractérisation, impacts, moyens d'action et perspectives - Actes de la conférence – Intervention de Dominique Patureau, INRA Narbonne : « Devenir et impact des contaminants organiques présents dans les Produits Résiduaires Organiques (PRO) » - http://www.graie.org/Sipibel/docs/Actes_Eau-et-Sante19_web.pdf
10.                      Alexandra Chatelet, Agnès Fournier, Stéfan Jurjanz, Sylvain Lerch, Herve Toussaint, et al.. L'épandage de matières fertilisantes d'origine résiduaire sur les prairies comporte-t-il des risques en termes de transfert de polluants organiques et inorganiques vers la chaîne alimentaire ?. INRA Productions Animales, Paris: INRA, 2015, 28 (5), pp.383-298. - https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02062060
11.                      Lea, R., Amezaga, M., Loup, B. et al. The fetal ovary exhibits temporal sensitivity to a ‘real-life' mixture of environmental chemicals. Sci Rep 6, 22279 (2016) - https://www.nature.com/articles/srep22279#citeas
12.                      Site officiel de l'Etat de Vaud – Boues d'épuration – consulté le 29 novembre 2019 - https://www.vd.ch/themes/environnement/dechets/boues-depuration/


       AUTEUR
Vivien LECOMTE/ notre-planète.info

mercredi 11 décembre 2019


TRIBUNE.

"Il est plus rentable de détruire l'environnement que de respecter la loi" :

des associations et des juristes réclament plus de moyens pour la justice

Face aux pollutions et aux catastrophes industrielles, des associations environnementales, des avocats, des universitaires et des juristes appellent à

"donner à la justice les moyens de protéger l'environnement et la santé".
Le nuage de fumée de l'incendie de Lubrizol, le 26 septembre 2019 à Rouen (Seine-Maritime). (PHILIPPE LOPEZ / AFP)


Donnons à la justice les moyens de protéger l'environnement et la santé. La récente catastrophe de Lubrizol nous rappelle que les activités industrielles doivent être soigneusement encadrées car tout laxisme peut mettre en péril l'environnement, mais aussi la santé des citoyens. A rebours de cette nécessaire précaution, l'Etat met en place depuis plusieurs années une politique de déréglementation et de raréfaction des contrôles, sous prétexte d'accorder plus de libertés aux divers acteurs économiques. Les atteintes à l'environnement sont pourtant nombreuses et rarement sanctionnées alors que, dans la majorité des cas, elles causent des dommages irréversibles à la richesse écologique de notre pays, à la santé des individus et à l'avenir des territoires. La protection de l'environnement est aujourd'hui une valeur sociale de premier plan mais, comme dans beaucoup de domaines, les questions de la volonté politique et des moyens alloués à la justice sont au cœur du problème. Pourtant, quelques mesures concrètes pourraient inverser la tendance.
Les préfets arbitrent en défaveur de l'environnement, créons une autorité indépendante
A l'heure actuelle, le seul rempart est la mobilisation des associations. Nous proposons donc la création d'une autorité indépendante, qui aura le pouvoir de prendre les décisions qui s'imposent pour prévenir et sanctionner à la place des préfets, et qui organisera le travail de la police de l'environnement qui, aujourd'hui, n'est pas suffisamment soutenue.
Les juges n'ont pas le temps de défendre l'environnement, augmentons les effectifs et spécialisons-les
Le délit de mise en danger de l'environnement n'existe pas, créons-le
Barrage de Sivens, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, méga centre commercial d'Europacity, pollution d'ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, usine Total de La Mède… Les affaires pour lesquelles les préfets ont délivré des autorisations illégales ou laissé sciemment des industries polluer durant des années ne manquent pas. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : rien que dans le domaine de l'eau, un rapport du Conseil d'Etat relevait en 2010 que seulement 8,5% des manquements relevés par les inspecteurs de l'environnement faisaient l'objet d'une sanction de la part du préfet.
Justifiées par le développement économique de court terme ou le maintien de l'emploi, ces décisions laissent libre cours au bétonnage, à la consommation excessive de ressources naturelles et conduisent à des dommages irréversibles.
C'est un fait : en France, il est plus rentable de détruire l'environnement que de respecter la loi. En Isère, une filiale de Lactalis vient d'être condamnée à 50 000 euros d'amende pour avoir déversé des polluants dans une rivière pendant plus de soixante-dix ans. Elle a ainsi économisé plusieurs millions d'euros ! Près de Nantes, Leclerc a engagé la construction d'un centre commercial sans autorisation, détruisant des zones humides et des espèces protégées. Sanction : 800 euros d'amende... Concrètement, les procureurs ont très peu de temps pour enquêter sur ces dossiers complexes. Les juges découvrent parfois ces affaires au dernier moment, ne prennent pas nécessairement la mesure des dommages et le besoin de sanctions dissuasives.
Comment la justice peut-elle jouer son rôle ? Il est urgent de former et spécialiser les magistrats, comme cela se fait dans de nombreux pays (Suède, Chine, Nouvelle-Zélande…) et que des moyens humains et financiers soient accordés pour une justice environnementale au service des citoyens. En Espagne, un parquet national de l'environnement comprend 250 procureurs, experts et scientifiques. Résultat : les condamnations ont plus que triplé.
Sanctionner les dégâts a posteriori ne suffit pas : ils sont complexes à réparer et souvent irréversibles. Le Code pénal doit ainsi être complété par un chapitre spécifique sur l'environnement, comprenant notamment un délit de mise en danger de l'environnement ou de la nature, comme cela existe déjà pour le délit de mise en danger d'autrui.
Pour en finir avec le sentiment d'impunité qui s'est développé chez les délinquants environnementaux, pour en finir avec les régressions permanentes dans ce domaine qui augmentent les risques, donnons à la justice les moyens d'être efficace. La destruction incessante de notre cadre de vie n'est pas compensable. Pour nous, associations, qui agissons tous les jours sur le terrain pour la défense de l'intérêt général, il est urgent que la justice protège enfin la santé et l'environnement.
Signataires :
Associations : France Nature environnement / Greenpeace / Surfrider Europe / Société française pour le droit de l'environnement (SFDE) / Réseau sortir du nucléaire
Avocat·e·s : Etienne Ambroselli / Céline Bronzani / Samuel Delalande / Thomas Dubreuil / Alice Terrasse / Mathieu Victoria / Emmanuel Wormser / Benoist Busson / Sébastien Le Briéro / Sandrine Gélis / Gwenaëlle Troude / Maxime Le Borgne / Rémi Lavigne / Alexandre Faro
Universitaires : Xavier Braud, maître de conférences, université de Rouen, Normandie / Marie-Pierre Camproux Duffrene, professeure de droit, université de Strasbourg / Chantal Cans, maître de conférences émérite de droit public, Le Mans université / Hubert Delzangles, professeur de droit public, Sciences-Po Bordeaux / Carole Hermon, professeure de droit à l'université Toulouse Capitole / Marie-Laure Lambert, codirectrice du Master 2 droit et métiers de l'urbanisme durable, Aix Marseille / Matthieu Poumarède, professeur de droit à l'université Toulouse Capitole / Michel Prieur, président du centre international de droit comparé de l'environnement / Sarah Vanuxem, maîtresse de conférences en droit à l'université Côte d'Azur / Bernard Drobenko, professeur émérite des universités - ULCO - Laboratoire TVES
Juristes : Julien Bétaille / Simon Jolivet / Raymond Léost (Bretagne) / Benjamin Hogommat (Pays de la Loire) / Elodia Bonel (Auvergne-Rhône-Alpes) / Romain Ecorchard (Bretagne) / Antoine Gatet (Nouvelle-Aquitaine) / Olivier Gourbinot (Languedoc-Roussillon) / Hervé Hourcade (Midi-Pyrénées) / Florence Denier-Pasquier (Pays de la Loire) / Cécile Guénon (Bourgogne-Franche-Comté) / Tristan Richard (Auvergne-Rhône-Alpes) / Marine Le Feunteun (Charente-Maritime) / Anaïs Cordier (Lorraine) / Maxime Colin (Ile-de-France) / Brieuc Le Roch (Bretagne) / Albéric Biglia (Alsace) / Delphine Chevret (Manche) / Ludovic Jomier (Nouvelle-Aquitaine) / Anne Roques (Midi-Pyrénées) / Jérôme Graefe (Ile-de-France) / Sophie Bardet (Pays de la Loire) / Mathilde Goueffon (Paca) / Mathieu Labrande


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Dans notre région aussi !

 Un exemple parmi tant d’autresprés de chez nous… sur le Bassin d'Arcachon :


Le scandaleux Centre d'enfouissement technique des déchets d'Audenge (C.E.T)


A)     Fréquence Grands Lacs :
 J’avais évoqué avec Hervé DELRIEUX, directeur et rédacteur en chef de FGL ce scandale écologique au cours d'un entretien radiophonique dans le journal du 21 09 2010  :
  http://www.frequencegrandslacs.fr/actu-1755.html   ( à partir de 10 minutes )
  
B)    Sud Ouest :

1)   Sévères réquisitions :

2)   L’administration [en] a permis l’exploitation en toute impunité :

3)   Les élus vont payer pour réhabiliter la décharge :


Le prix de la réhabilitation supposée = 
22 millions d'euros sur 30 ans…( payé par les contribuables… )

Aucune sanction malgré de lourdes fautes écologiques et de corruptions retenues par la justice.

jeudi 5 décembre 2019


Quand les égouts s’écoulent dans la rue,
puis vers la plage…

L’Oeil au Beurre de Lenoir 

1/12/19

 Copie écran site SIBA

A l’automne 2019, le Syndicat Intercommunal du Basson d’Arcachon a lancé une nouvelle campagne de sensibilisation sur la préservation de la qualité des eaux du Bassin (voir son site ici). Le SIBA aime beaucoup communiquer pour vanter les charmes du Bassin. Question finance c’est du lourd, en dizaine de milliers d’euros, pour attirer le chaland dans notre belle région, et promouvoir la marque BA.

Pour lire la suite de l’édito se rendre sur le site d’infobassin :


Michel Lenoir
Directeur de publication