L'épandage des boues de stations d'épuration en agriculture :
quels risques pour la santé et l'environnement ?
06 décembre 2019, 15:36
Epandage de boues dans un champs
Crédit : Pascvii / Pixabay - Licence : CC0
Crédit : Pascvii / Pixabay - Licence : CC0
73% des boues de stations d'épuration sont
épandues sur les sols agricoles. L'épandage de telles matières peut faire
l'objet de réticences de la part des agriculteurs et des populations vivant à
proximité. Plus préoccupants sont les impacts environnementaux que l'usage de
ces boues pourraient engendrer. Cette pratique est-elle une solution durable de
valorisation de nos déchets ou bien représente-t-elle un danger pour les
écosystèmes et pour l'Homme ?
Les boues sont les principaux déchets des stations d'épuration
- le chaulage (appliqué
sur 30% des boues en France) : ce procédé consiste à ajouter de la chaux pour
augmenter le pH des boues et ainsi bloquer le processus de fermentation
(pH>11) ;
- le compostage (également
30 % des boues en France) : les boues peuvent être mélangées à des déchets
verts puis dégradées par des bactéries, champignons… en présence d'oxygène (comme
dans le composteur du jardin !) ;
- la méthanisation: il s'agit d'une
dégradation des boues par des bactéries, en l'absence d'oxygène.
Également utilisé sur les exploitations agricoles à partir des effluents
d'élevage, ce procédé permet de produire, d'une part, du méthane (ou biogaz) pouvant être injecté dans le réseau
de gaz de ville ou bien brûlé pour produire de la chaleur, et d'autre
part, un « digestat », pouvant être épandu dans les champs.
Les stations d'épuration
permettent de traiter les eaux usées produites par les activités domestiques et
industrielles. En France, ce traitement consiste la plupart du temps à brasser les
eaux usées dans des bassins favorisant le développement des micro-organismes
qui dégradent et absorbent la pollution. Alors que les eaux traitées sont
rejetées dans le milieu naturel (rivière, lac, etc.), les boues d'épuration
constituent le principal déchet de ce traitement: elles sont principalement
constituées d'eau (à plus de 90 %), de bactéries mortes et de matière
réfractaire au traitement. Chacun d'entre nous «produit»
environ 3 litres de boues par jour[1].
Une fois collectées au niveau
des bassins, les boues sont soumises à des traitements spécifiques[2]. Ces
derniers ont pour premier objectif de réduire la quantité de boues : des
procédés de déshydratation (centrifugation, filtrage, ajout de réactifs
chimiques) permettent de réduire leur teneur en eau et d'obtenir une boue
pâteuse. Le second objectif de ces traitements est de « stabiliser » les boues,
c'est-à-dire de stopper l'activité bactérienne et le processus de fermentation
afin de limiter les odeurs et de réduire les risques biologiques lors de
l'épandage. Il existe plusieurs
procédés de stabilisation des boues, notamment:
Production, traitement et filières de valorisation des boues de
station d'épuration (chiffres: INRA, 2014)
© Vivien LECOMTE - Licence : Tous droits réservés
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En raison de leurs
propriétés fertilisantes, la majorité des boues sont épandues
La production de boues en
France est estimée à 1 million de tonnes de matière sèche par an[3]. Ces boues
peuvent être répandues
dans les champs par les agriculteurs afin[4] :
- de fertiliser le sol :
riches en matières organiques, en azote et en phosphore, elles sont un
engrais permettant d'enrichir les sols en nutriments nécessaires au
développement des végétaux ;
- d'amender le sol, c'est à dire d'en
améliorer les qualités physiques et chimiques afin de favoriser la
production d'humus, une matière incontournable parce qu'elle abrite la vie
bactérienne et la microfaune qui digèrent et rendent disponibles les
éléments nutritifs dont les plantes ont besoin.
Cette pratique appelée épandage
concerne 73% des boues d'épuration produites en France, dont un peu moins de la
moitié sont préalablement compostées en mélange avec des déchets verts. La surface
actuellement épandue en France, est de l'ordre de 750 000 à 800 000 hectares,
soit 2,5 à 3% de
la surface agricole utile. Les principales cultures concernées
sont le blé, céréale la plus cultivée en France, le colza et le maïs fourrager
(pour l'alimentation des animaux d'élevage). Dans une moindre mesure,
l'épandage des boues peut également être réalisé sur des prairies[3].
Le cahier des charges de l'Agriculture Biologique et d'autres
filières qualité comme le Label Rouge interdit l'utilisation de boues
d'épuration comme fertilisant".
Le reste des boues issues des stations d'épuration françaises est
incinéré (18 %) ou envoyé en décharge (9 %), cette dernière filière étant une
option «de secours»[5].
L'épandage
agricole est une pratique recommandée par l'Agence de l'Eau,
établissement public de l'État. Il constitue également la principale voie de
valorisation des boues en Europe[4]. En effet, il présente de nombreux avantages d'ordres
pratique, économique et écologique[5][6] :
- sa mise
en œuvre ne nécessite pas d'investissement pour les agriculteurs, autre
que celui d'un épandeur, et parfois d'un équipement d'entreposage ;
- les
boues sont le plus souvent fournies gratuitement ou à prix réduit aux
agriculteurs ;
- en
contribuant au maintien des stocks de carbone dans les sols et à la
substitution d'engrais de synthèse, leur valorisation agronomique fait
partie des leviers de l'agriculture pour la lutte contre le changement climatique et
pour la
préservation de la qualité des sols. Elle s'inscrit
également dans les principes de l'économie circulaire en permettant
le recyclage du phosphore et
l'association d'acteurs au sein des territoires (céréaliers, agriculteurs
et collectivités). Enfin, la proximité des lieux de production et
d'utilisation des boues permet de réduire les transports.
La fertilisation organique des sols, une pratique multiséculaire
Le retour au sol des déjections
animales, qui permet la fertilisation organique des sols, est une pratique
agricole multiséculaire. Au cours du 20ème siècle, cette pratique a été
complétée par le recours aux engrais minéraux, également appelés engrais
chimiques, découverts par le chimiste allemand Fritz Haber en 1909 et qui
permettent un apport maîtrisé des trois éléments fertilisants de base que sont
l'azote, le phosphore et le potassium. La découverte des engrais chimiques a
permis, selon les spécialistes, de « sauver » 3,5 milliards de vies de la
famine. Leur utilisation excessive est aujourd'hui décriée en raison de leurs
impacts environnementaux.
Plus récemment, de nouvelles
matières fertilisantes en provenance de diverses filières de traitement des
eaux usées et des déchets sont venues compléter le panel de produits
épandus[5]. Aujourd'hui, les apports annuels d'azote sur les sols agricoles
reposent en premier lieu sur les engrais chimiques (2110 kt en 2012) suivis des
effluents d'élevages (1820 kt) et des boues d'épuration et composts (21 kt)
[4].
Mais ces boues contiennent des substances dangereuses
Les eaux usées issues des
habitations, des industries et des commerces sont riches en matière organique,
facilement dégradable par les stations d'épuration. Elles contiennent également
de nombreuses substances chimiques, dont certaines sont qualifiées de «micropolluants», en
raison des effets toxiques qu'ils peuvent induire à de très faibles
concentrations, de l'ordre du microgramme par litre voire du nanogramme par
litre.
Quelques repères
1 microgramme (µg) est un million de fois plus léger qu'un gramme
(g)
1 nanogramme (ng) est mille fois plus léger qu'un microgramme (mg)
1 morceau de sucre dans une piscine olympique = 1 µg/L
1 petit grain de sable = 3 µg
1 grain de sel dans une piscine olympique = 1 ng p
1 nanogramme (ng) est mille fois plus léger qu'un microgramme (mg)
1 morceau de sucre dans une piscine olympique = 1 µg/L
1 petit grain de sable = 3 µg
1 grain de sel dans une piscine olympique = 1 ng p
Parmi les micropolluants, on retrouve des composés régulièrement
cités dans les médias comme les
métaux, les plastifiants (ex: Bisphénol A), les désinfectants, les pesticides,
les PCB (Polychlorobiphényles) ou les résidus de médicaments…
mais aussi des composés moins médiatisés comme les retardateurs de flamme (présents
dans la literie et les vêtements), les
phénols et alkylphénols (dans les détergents) et les composés perfluorés (dans
les revêtements imperméables et certaines poêles).
Certaines de ces substances
sont susceptibles de perturber assez fortement les écosystèmes, par exemple en
provoquant des effets de types perturbateur endocrinien (dérèglement du système
hormonal), ou, pour les antibiotiques et les désinfectants, de jouer un rôle
majeur dans la dissémination de l'antibiorésistance[2]. La maîtrise du rejet des
micropolluants dans l'environnement est donc devenue un enjeu environnemental
et sanitaire majeur et fait l'objet d'un plan national dédié (Plan Micropolluants 2016-2021).
Or, les stations d'épuration actuelles
n'ont pas été conçues pour traiter ces substances présentes
à l'état de trace : ainsi, les rendements d'élimination sont très variables
selon le polluant et le procédé de traitement considérés. Certains composés
sont totalement réfractaires au traitement et sont rejetés « tels quels » dans
le milieu naturel ; d'autres sont éliminés efficacement, par biodégradation ;
enfin certains
sont simplement transférés dans les boues d'épuration. Ainsi,
les résultats du programme de recherche ARMISTIQ (2010-2013) ont montré que dans
une station d'épuration « classique » (type « boues activées »), sur les 32
substances éliminées des eaux à plus de 70 %, seules 10 étaient réellement
dégradées (ex: paracétamol, ibuprofène) tandis que les autres étaient
transférées dans les boues (ex: métaux, HAP, nonylphénols et certains
médicaments)[7].
Y a-t-il un risque pour
l'homme et l'environnement ?
Plusieurs paramètres
sont pris en compte pour évaluer le niveau de risque
Se pose alors la question du
devenir et de l'impact de ces polluants présents dans les boues d'épuration
lors de l'épandage sur des sols agricoles. Fort heureusement, même si des
substances toxiques sont présentes dans les boues épandues, cela ne signifie
pas forcément que ces boues soient « dangereuses » pour les écosystèmes et pour
l'homme. En effet, plusieurs paramètres doivent être étudiés pour évaluer le
niveau de risque.
Le risque dépend tout d'abord
de la
concentration du polluant dans les boues et de la quantité de boues épandues sur
les sols.
La durée de persistance de la substance
polluante dans l'environnement est un deuxième paramètre à
prendre en compte. Celle-ci dépend à la fois de la nature du composé mais aussi
des conditions du milieu (température, humidité, pH, etc.). Par exemple, les
PCB, qui ont pollué de nombreux cours d'eau français tels que le Rhône ou la
Moselle sont très persistants : leurs temps de demi-vie (temps pour lequel la
moitié du composé est dégradé) sont compris entre 94 jours et 2 700 ans ! A
l'opposé, le toluène, un hydrocarbure utilisé dans l'industrie chimique,
présente un temps de demi-vie dans le sol de seulement 0,5 à 1 jour : il est
donc très rapidement dégradé[8].
Ensuite, il faut savoir que
certains polluants restent piégés
dans les boues ou dans le sol :
- ils ne passeront pas (ou peu) dans les plantes et dans
les animaux : on dit qu'ils sont faiblement biodisponibles;
- ils ne contamineront pas (ou peu) les eaux souterraines
et les eaux de surface : ils sont faiblement mobiles.
Cette caractéristique dépend à
la fois du polluant lui-même mais aussi de la nature des boues, des propriétés
du sol et des conditions environnementales[2].
Le niveau de risque dépend
également de la capacité du polluant à se bioaccumuler au sein des
organismes vivants (ex: plantes ou vers de terre) et à se bioamplifier entre
les maillons de la chaîne alimentaire (ex: plantes -> animaux -> homme).
Par ces deux phénomènes, une substance retrouvée à l'état de trace dans le sol
peut être présente en concentration beaucoup plus élevée chez les animaux
d'élevage et chez l'Homme, qui se trouvent au sommet de la chaîne alimentaire.
Enfin, le risque dépend
du degré de
toxicité de la substance considérée, très variable selon
les composés.
Que dit la
réglementation ?
Sauf si elles ont été
préalablement compostées, les
boues d'épuration sont considérées comme des déchets et
sont épandues selon «un
plan d'épandage» comprenant une étude préalable (analyse de
sols, recensement des cours d'eau, etc.), une autosurveillance (analyses
régulières des boues et des sols) et un registre d'épandage. L'arrêté du 8 janvier 1998,
qui encadre cette pratique, fixe des limites de concentration dans les boues et
de doses cumulées sur 10 années, pour 12 paramètres chimiques: des métaux
lourds, des PCB et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). A noter
qu'aucune limite n'est fixée (ni analyse requise) pour un ensemble de
micropolluants pourtant présents dans les boues comme les résidus de
médicaments ou les détergents. L'arrêté impose également des distances minimum
à respecter vis-à-vis des milieux sensibles et des délais entre l'épandage des
boues et la récolte ou le retour des animaux[3]. A noter qu'un délai de 4 à 5
ans sépare généralement deux épandages consécutifs de boues sur une même
parcelle, afin de respecter les limites de doses cumulées de polluants sur 10
ans.
Le risque semble faible,
dans l'état actuel des connaissances
Les risques sanitaires et
environnementaux liés à l'épandage des boues ont été évalués dans le cadre d'une étude de l'ADEME (Agence de
l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie)[3], et d'une expertise collective menée par 3
instituts de recherche (INRA, CNRS et IRSTEA)[5], dont les rapports sont parus
fin 2014.
L'étude de l'ADEME a notamment
évalué plusieurs
scénarios d'exposition, correspondant à des épandages de boues
conformes au cadre réglementaire. Trois typologies d'expositions,
éventuellement cumulables pour certaines populations, ont été considérées en
distinguant les adultes et les enfants :
- l'ingestion
ou l'inhalation de poussières de boues d'épuration, par
les agriculteurs et les habitants riverains des champs sur lesquels ont
lieu les épandages;
- l'ingestion
de végétaux (ex: blé, pommes de terre) ayant poussé dans les
champs avec épandage;
- l'ingestion
de denrées animales issues d'animaux
d'élevage présents sur les champs avec épandage et/ou d'animaux ayant
consommé des végétaux de ces mêmes champs.
L'étude de ces scénarios a permis
d'établir que quels que soient la population (agriculteurs, riverains,
consommateurs) et le polluant (métaux, alkyphénols, résidus de médicaments,
etc.) considérés, le
niveau de risque sanitaire semble faible, dans l'état actuel
des connaissances. Pourquoi un risque faible? Tout d'abord, car les quantités
de métaux lourds apportées par les boues représentent une faible proportion des
métaux déjà présents dans les sols. Ensuite, parce que d'une manière générale,
les polluants présents dans les boues sont peu transférés vers les plantes et
vers les eaux du sol. Enfin, plusieurs études ont montré que les polluants les
plus persistants tels que le triclosan, un conservateur présent dans des produits cosmétiques et désinfectants,
semblent peu bioaccumulables dans les organismes vivants[9].
Deuxième conclusion de l'étude
: la voie d'exposition très nettement prédominante est l'ingestion de végétaux.
C'est donc par la consommation de denrées végétales issues des champs avec
épandage que le transfert de polluants en provenance des boues est le plus
important.
Enfin, la contamination des
matières premières animales destinées à la consommation humaine (lorsqu'il y a
contamination) concerne surtout les
tissus graisseux, le lait et les œufs.
Concernant
le risque environnemental, un ensemble de tests ont été réalisés
en laboratoire, pour étudier la toxicité de boues d'épuration vis-à-vis des
organismes vivants. Le principe de ces « essais
écotoxicologiques » est le suivant:
1.
Des
échantillons de boues sont mélangés avec de la terre (un sol «standardisé») :
plusieurs doses de boues sont testées allant de une à dix fois la dose
d'épandage réglementaire.
2.
Ces
échantillons de « boues + terre » sont mis en contact avec des organismes terrestres,
afin d'évaluer les effets du cocktail de polluants présents dans les boues
vis-à-vis de la croissance racinaire de végétaux, de la reproduction de vers de
terre et de la germination de spores de champignons.
3.
De
l'eau est versée à travers les échantillons de « boues + terre » (afin de «
simuler la pluie ») puis mise en contact avec des organismes aquatiques.
Ces essais ont pour but de mesurer les effets des polluants potentiellement
entrainés vers les rivières, vis-à-vis de la reproduction et de la mobilité de
petits crustacés, de la croissance d'algues et de l'activité bactérienne.
L'ensemble des tests réalisés,
à une exception près, n'ont
pas révélé de toxicité à la dose d'épandage. Des effets
significatifs apparaissent en revanche pour certains tests à 5 fois et 10 fois
la dose d'épandage. La toxicité des boues testées vis-à-vis des organismes
aquatiques et terrestres est donc relativement faible.
Mais des incertitudes
persistent et les résultats d'une étude sur des brebis interrogent
Cependant, ces deux études et
d'autres menées plus récemment soulignent à plusieurs reprises les nombreuses
incertitudes, liées notamment à
un manque de données sur le devenir de certains micropolluants,
comme les composés perfluorés ou les phtalates (plastifiants) [10]. Elles
insistent également sur le manque de connaissances concernant les produits
issus de la transformation des micropolluants dans l'environnement [9].
Reste également la question
des bactéries
résistantes aux antibiotiques, dont on sait qu'elles colonisent tous les milieux, y compris l'eau potable.
Même si les études sont rares en la matière, l'épandage des boues d'épuration
contribue probablement à ce phénomène, en disséminant des bactéries
résistantes, des résidus d'antibiotiques et des résidus de produits
désinfectants dans le sol [5].
Enfin, les résultats d'une
étude menée sur des brebis en
conditions réelles ont de quoi interroger [11]. Le
principe et les résultats de cette étude, publiée en 2016 par un consortium de
scientifiques britanniques et français, sont présentés dans le schéma
ci-dessous :
L’impact de l’épandage de boues sur des
brebis inséminées : principe et principaux résultats de l’étude de Lea et al. (2016)
© Vivien LECOMTE - Licence : Tous droits réservés
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Ces résultats suggèrent
donc des effets
sur les fœtus féminins de brebis paissant dans des
pâturages ayant reçu des boues d'épurations. Selon les auteurs de l'étude, ces
effets seraient dus au cocktail de polluants présents dans les boues.
Néanmoins, l'absence
d'autres études comparables ne permet pas de généraliser les
résultats observés.
Les alternatives pour
une meilleure gestion des boues
L'incinération est-elle
la solution ?
Au nom du principe de
précaution et devant le risque d'accumulation de substances nocives dans les
sols, faut-il
interdire l'épandage des boues d'épuration en agriculture et les incinérer ? C'est
le choix fait par la Suisse, depuis 2008[12].
Si elle peut paraître
séduisante, cette approche présente cependant plusieurs défauts :
- les milliers de tonnes annuelles de carbone, d'azote et
de phosphore que ces boues contiennent partiraient en fumée… Alors que les
ressources minières de phosphore se raréfient ;
- tout ne brûle pas dans un incinérateur : la matière
minérale restante (mâchefers) doit être évacuée en décharge ;
- sauf à disposer d'un incinérateur sur le site de la
station d'épuration, l'incinération (et l'évacuation des mâchefers)
engendre des transports de boues par camion sur de longues distances.
De plus, si nous décidons
d'arrêter l'épandage des boues, se pose la question de ce qui va venir les remplacer pour
fertiliser les sols. Des engrais chimiques ? Ceux-ci contribuent au réchauffement climatique et ne sont pas une
ressource renouvelable…
Mieux traiter les boues
avant épandage
Une autre approche consiste
à améliorer le
traitement des boues pour réduire leur dangerosité avant épandage.
C'est l'objet de la thèse de D. Lachassagne (Université de Limoges) menée dans
le cadre du projet SIPIBEL[2]. Dans cette thèse, trois types de
traitement de stabilisation des boues ont été étudiés et comparés quant à leur
capacité à réduire la teneur et/ou à garder piégés les micropolluants : le
chaulage, le compostage et la méthanisation. Il ressort notamment de cette
comparaison, que :
- le
compostage permet de piéger efficacement les métaux dans les
boues, ce qui réduit leur possibilité de transfert dans les sols, les eaux
et les organismes vivants ;
- la
méthanisation a tendance à concentrer les métaux dans les
boues, mais permet de réduire la mobilité et la biodisponibilité de la
plupart des micropolluants.
Depuis, d'autres études
suggèrent qu'une combinaison de ces deux types de traitement permettraient à la
fois une réduction de la teneur de la plupart des micropolluants, mais aussi de
piéger une partie des micropolluants restants[9].
En complément, D. Lachassagne a
également étudié l'impact d'un traitement supplémentaire, consistant à
appliquer de l'ozone («
ozonation ») sur les boues avant leur stabilisation. Les résultats semblent
montrer que l'ozonation est un prétraitement efficace, dans la mesure où il a
permis d'éliminer un grand nombre de résidus de médicaments initialement
présents dans les boues. D'autres études technico-économiques sont nécessaires
pour valider la pertinence de ce mode de traitement, mais il peut s'agir d'une
solution prometteuse pour l'avenir.
Réduire les pollutions à
la source
Pour améliorer la qualité des
boues épandues, « le plus simple » reste encore de réduire les pollutions à la
source : des eaux usées moins polluées, ce sont des boues moins polluées !
C'est dans cette voie que le Ministère de l'Environnement, l'Agence Française
pour la Biodiversité et les Agences de l'Eau se sont engagées prioritairement.
Tout d'abord, en finançant des campagnes d'analyses de micropolluants
(campagnes RSDE) dans les eaux usées et les boues d'épuration, afin de mieux
cibler les substances problématiques. Ensuite, en impulsant la création
d'opérations collectives territoriales pour réduire les pollutions d'origines
artisanales et industrielles. Et enfin, en soutenant des projets de recherche
visant à améliorer nos connaissances sur les micropolluants et à trouver des
solutions innovantes pour en réduire le rejet (cf. Appel à projets national Micropolluants).
De
l'efficacité de cette politique de réduction à la source dépendra certainement
le devenir des boues d'épuration dans les prochaines années.
Notes
1.
Site
de l'Agence de l'Eau RMC – Gestion des boues urbaines – consultée le 29
novembre 2019 - https://www.eaurmc.fr/jcms/vmr_35488/fr/gestion-des-boues-urbaines?cid=vmr_35727&portal=cbl_7386
2.
Lachassagne
Delphine - Devenir de micropolluants présents dans les boues d'épuration, du
traitement à l'épandage agricole : application aux micropolluants métalliques
(Cd, Cu) et organiques (médicaments) issus du traitement biologique
conventionnel d'effluents urbains ou hospitaliers. Thèse du Groupement de
Recherche Eau Sol Environnement (GRESE) de l'Université de Limoges/Suez
Environnement/ADEME, 2014, 309p. - http://www.graie.org/Sipibel/publications/these-D.Lachassagne-boues-medicaments-2015-vdiffusable.pdf
3.
INERIS
et CNRS – Substances « émergentes » dans les boues et composts de boues de
stations d'épurations d'eaux usées collectives – caractérisation et évaluation
des risques sanitaires – Etude réalisée pour le compte de l'ADEME, le
SYPREA-FNADE, la FP2E, le SIAAP – octobre 2014, 294p. - https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ers-substances-emergentes-boues-step-201411.pdf
4.
ADEME
– Matières fertilisantes organiques : gestion et épandage – Guide des bonnes
pratiques – avril 2018, 15p. - https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/matieres-fertilisantes-organiques-gestion-et-epandage_010526.pdf
5.
INRA,
CNRS, IRSTEA – Valorisation des matières fertilisantes d'origine résiduaire sur
les sols à usage agricole ou forestier, Impacts agronomiques, environnementaux,
socio-économiques – Synthèse de l'expertise scientifique collective – octobre
2014, 108p. - https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/267560-bfb3b-resource-esco-mafor-synthese.html
6.
Site
de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) –
L'épandage en direct des matières organiques – Mis à jour le 29 janvier 2019
- https://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-organique/lepandage-direct-matieres-organiques
7.
ONEMA
(Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques – nouvellement OFB) –
Quelle est l'efficacité d'élimination des micropolluants en station de
traitement des eaux usées domestiques ? – Synthèse du projet de Recherche
ARMISTIQ – décembre 2014, 12p. - https://armistiq.irstea.fr/wp-content/uploads/2015/02/Plaquette-synth%C3%A8se-AMQ.pdf
8.
Site
de l'Université de Picardie, DESS Qualité et Gestion de l'Eau - Pollution et
dépollution des nappes d'eau souterraine – 2002 - https://www.u-picardie.fr/beauchamp/cours.qge/pol-sout/pol-sout.htm
9.
Conférence
Eau et Santé organisée par le Graie, l'Astee, la Métropole de Lyon et les
partenaires de Sipibel – Les micropolluants dans l'eau liés aux pratiques de
soin : caractérisation, impacts, moyens d'action et perspectives - Actes de la
conférence – Intervention de Dominique Patureau, INRA Narbonne : « Devenir et
impact des contaminants organiques présents dans les Produits Résiduaires
Organiques (PRO) » - http://www.graie.org/Sipibel/docs/Actes_Eau-et-Sante19_web.pdf
10.
Alexandra
Chatelet, Agnès Fournier, Stéfan Jurjanz, Sylvain Lerch, Herve Toussaint, et
al.. L'épandage de matières fertilisantes d'origine résiduaire sur les prairies
comporte-t-il des risques en termes de transfert de polluants organiques et
inorganiques vers la chaîne alimentaire ?. INRA Productions Animales, Paris:
INRA, 2015, 28 (5), pp.383-298. - https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02062060
11.
Lea,
R., Amezaga, M., Loup, B. et al. The fetal ovary exhibits temporal sensitivity
to a ‘real-life' mixture of environmental chemicals. Sci Rep 6, 22279 (2016)
- https://www.nature.com/articles/srep22279#citeas
12.
Site
officiel de l'Etat de Vaud – Boues d'épuration – consulté le 29 novembre 2019
- https://www.vd.ch/themes/environnement/dechets/boues-depuration/
Source : https://www.notre-planete.info/actualites/888-epandage-boues-epuration-culture-consequences
AUTEUR
Vivien LECOMTE/ notre-planète.info