Connaissances du Golfe de Gascogne et du Gouf de Capbreton
Dans son numéro, N° 146 du 17 janvier 2015 « Le Mag » du SUD-OUEST plonge dans le monde mystérieux des abysses.
Ces profondeurs, encore en grande partie inexplorées, recèlent des milliers d’espèces inconnues.
Un dossier de huit pages Hugo Verlomme, journaliste écrivain et spécialiste de l’Océan, met un coup de projecteur sur le golfe de Gascogne et ses 130 canyons sous-marins
Hugo Verlomme
est revenu s’installer il y a une dizaine d’années à Capbreton où entre
l’écriture et son travail sur le site 123océan, il va bodysurfer et se
ressourcer dans les vagues.
"Abysses", l'expo sur la face cachée de la mer
L’exposition
« Abysses » de la Cité de l’Océan à Biarritz est l’occasion d’une
plongée dans ces profondeurs mal connues. A découvrir jusqu'au 13
septembre prochain
Dumbo, le petit poulpe des abysses© PHOTO 1999 MBARI
Le poisson ogre vit à des profondeurs où la noirceur est absolue, le froid et la pression extrêmes© PHOTODAVID WROBEL
Claire Nouvian, commissaire de l’exposition « Abysses » de la Cité de l’Océan à Biarritz© PHOTOCYRIL TRICOT
· Jelly
benthocodon. Taille : 4 cm de diamètre ; profondeur : de 500 à 3 500
mètres. On trouve généralement cette méduse très près du plancher
océanique© PHOTO 2002 MBARI
· Une
cloche géante. Les engins de plongée capables d’explorer la colonne
d’eau ont permis de mettre à jour l’importance des organismes gélatineux© PHOTO DAVID WROBEL
Au fond des océans, des forêts de coraux abritent une faune incroyablement dense© PHOTOLES WATLING
Lorsqu'on
évoque le golfe de Gascogne, on pense à un vaste plateau continental, à
des bancs de sable peu profonds, soulevant ces grosses vagues tant
redoutées des marins et adulées par les surfeurs. Un golfe agité,
poissonneux, carrefour de la biodiversité, brassé par le Gulf Stream,
délimité par une ligne reliant l'extrême Ouest français, le phare
d'Armen (à l'ouest de l'île de Sein) au cap Ortegal espagnol, en Galice,
limite occidentale du golfe. Mais, en réalité, les cartes bathymétriques (qui mesurent les profondeurs et le relief de l'océan) nous racontent une toute autre histoire et
nous font découvrir la face cachée de cette mer intracontinentale de
225 000 km2, en bonne partie constituée par des fonds dépassant les 4
000 m.
Le canyon de Capbreton longe le littoral espagnol sur plus de 200 km
© PHOTO INFOGRAPHIE SO
Découvrir les abysses à Biarritz
En attendant de descendre en bathyscaphe sur les traces du capitaine Nemo, rendez-vous à la Cité de l’Océan, à Biarritz. Non seulement vous y trouverez des images du Gouf et une époustouflante plongée en 3D dans un canyon sous-marin, mais jusqu’au 13 septembre s’y tient l’exposition « Abysses » de Claire Nouvian, occasion unique de découvrir cet univers par définition inaccessible.
Les
créatures capturées à des milliers de mètres, et parfois à plus de 300
bars de pression, ne peuvent être remontées sans risque d’imploser ou de
se liquéfier. Il a fallu les ramener en douceur, par paliers, pour les récupérer dans le meilleur état possible. Ensuite, grâce au talent d’orfèvre de Christophe Gottini,
taxidermiste au Muséum d’histoire naturelle, nous avons le privilège de
découvrir pour la première fois au monde ces créatures abyssales,
magnifiquement reconstituées à l’aide de divers subterfuges, éclairages,
eau en suspension, fils ou coussinets invisibles…
Cité de l’Océan, 1 avenue de la Plage, La Milady, Biarritz. Tél. 05 59 22 75 49
Attention, la Cité de l’Océan (et donc l’exposition) est fermée jusqu’au 5 février inclus.
Depuis des années, l'Institut français de recherche et d'exploitation de la mer
(Ifremer) entreprend des campagnes de relevés grâce à ses navires
équipés de sonars à balayage latéral et de sondeurs multifaisceaux,
permettant de cartographier avec précision, et en 3D, le relief sous-marin du golfe de Gascogne.
Les images récoltées lors de la dernière décennie ont révélé un paysage
aussi extraordinaire qu'énigmatique, dont l'histoire remonte à plus de 160 millions d'années, lorsque le bloc ibérique s'est séparé du continent européen, ouvrant ainsi le futur golfe de Gascogne.
Notre littoral se prolonge par un large plateau continental peu profond, qui se termine de façon abrupte, avec des falaises vertigineuses plongeant à plus de quatre mille mètres
Regardons
ces reliefs comme si l'eau s'était retirée. Que voyons-nous ? Notre
littoral atlantique se prolonge par un large plateau continental peu
profond, la marge Armoricaine et Aquitaine, qui se termine de façon
abrupte au sommet d'une incroyable chaussée des géants longue de 800 kilomètres, d'Aquitaine en Irlande, constituée de falaises vertigineuses plongeant à plus de quatre mille mètres, elles-mêmes creusées de nombreux canyons !
Paysage de science-fiction C'est
un véritable paysage de science-fiction, inimaginable sur nos terres
émergées. Certains de ces canyons (anciennes failles tectoniques) se
situent dans le prolongement de lieux encore existants, comme les
canyons de Penmarc'h, du Guilvinec, de l'Odet, de Saint-Nazaire, des
Sables-d'Olonne, du cap Ferret, et, à l'extrême sud, le fameux canyon de Capbreton, aussi appelé Gouf.
Ces canyons nous rappellent que le niveau de la mer a connu de fortes variations, jusqu'à 130 m plus bas qu'actuellement
L'histoire
de notre planète s'écrit dans les fonds marins. Ces canyons qui
sillonnent l'escarpement continental nous rappellent que le niveau de la
mer a connu de fortes variations (jusqu'à 130 m plus bas
qu'actuellement) et que l'Europe du Nord a été en partie recouverte
d'une calotte glaciaire. Lorsqu'elle a commencé à fondre, un
paléo-fleuve géant s'est formé, coulant à l'emplacement de la Manche.
Ces eaux mêlées ont entraîné de vastes quantités de sédiments qui se sont déversés en avalanches dans les canyons,
alimentant ainsi le fond du golfe en sable et argile. Et c'est en
analysant ces vastes dépôts, carottés aux pieds des canyons, que Samuel Toucanne, sédimentologue à l'Ifremer, a pu identifier et dater précisément ces périodes de fontes et de glaciations.
Jean-François Bourillet, géologue, coordinateur des cartes morpho-bathymétriques à l'Ifremer Brest,
étudie aussi ces époques reculées grâce à la cartographie profonde : «
Nous avons travaillé sur le fleuve Manche ; lors des bas-niveaux (il y a
20 000 ans pour le dernier), la Manche était traversée par un fleuve
géant, ayant pour affluents, entre autres, la Somme, la Seine, parfois
la Tamise, la Meuse, le Rhin. Mais son embouchure, bien que proche de
l'extrémité du plateau continental, reste à une centaine de kilomètres
des canyons. »
Au sud du golfe, le plateau espagnol est beaucoup plus étroit. Bordé
de montagnes, pyrénéennes et cantabriques, il plonge très vite vers les
grands fonds, avec, là aussi, des canyons, parfois proches de la côte,
qui rejoignent la plaine abyssale.
El Cachucho Le
canyon de Capbreton longe le littoral espagnol sur plus de 200 km, mais
il existe un autre joyau des abysses, un mont sous-marin, bordé par un
le canyon de Llanes. L'une des parois verticales de ce mont mesure 4 000 m !
Découvert dans les années 1930 par le grand océanographe français Édouard Le Danois,
il est situé à 36 milles au large des Asturies en mer Cantabrique, et
s'appelle aujourd'hui El Cachucho. Ce mont sous-marin abrite une
extraordinaire biodiversité (plus de 600 espèces recensées, telles que
des éponges géantes vieilles de plus de cent ans, le merlan bleu, la
rascasse de fond), au point d'être devenu la première aire marine
protégée d'Espagne. On sait aussi que le calmar géant y croise, car on a malheureusement retrouvé, pris accidentellement dans les filets des chalutages profonds (800 m), des spécimens pesant jusqu'à 950 kg et mesurant 14 m.
Biodiversité abyssale
On estime aujourd'hui qu'une grande partie de la biodiversité abyssale se niche dans les canyons sous-marins, propices à abriter différents habitats à des profondeurs variées.
Dans un récent rapport sur les espèces de poissons inhabituelles
capturées dans le golfe de Gascogne au cours des quinze dernières
années, dans un travail dirigé à l'Ifremer d'Anglet par Marie-Noëlle de Casamajor, on découvre des espèces abyssales rares, aux noms bizarres :
poissons rubis, compères tête de lièvre, poissons-lunes, chimères,
centrolophes noirs, rouffes des méduses et épineux, escoliers noirs et à
long nez, rouvets, grenadiers scie et barbus, chiens espagnols, squales
savate et liche, lubins…
Les cétacés tels que le cachalot pygmée et la baleine à bec de Bainville peuvent plonger à plus de 1 500 m. On
le voit, les abysses du golfe recèlent bien des merveilles, parmi
lesquelles des coraux d'eau froide ou encore des cétacés tels que le
cachalot pygmée et la baleine à bec de Bainville, tous deux capables de plonger à plus de 1 500 m
Si
les profondeurs du golfe de Gascogne nous paraissent aujourd'hui comme
un patrimoine précieux à préserver, il n'en a pas toujours été ainsi, et pendant des décennies ses grands fonds ont servi à couler des épaves ou des déchets indésirables… Cousteau lui-même y soupçonnait la présence de fûts contaminés. De nos jours, c'est surtout la surpêche et le chalutage profond (1) qui menacent ces zones océaniques si fertiles.
La révélation de ces richesses abyssales, de ces 130 canyons qui
sont autant d'écosystèmes, devrait nous mener à mieux connaître ces
zones où s'élaborent les briques de la vie. On le voit, le golfe de
Gascogne n'est pas une région océanique comme les autres. C'est un
véritable patrimoine, unique en son genre, qu'il faut protéger
d'urgence.
Hugo Verlomme